Interview de Gipsy Paladini – Des auteurs, des inspirations n°2

Après Johana Gustawsson, nous rencontrons aujourd'hui une nouvelle étoile montante dans le domaine du thriller au cours d'une interview de Gipsy Paladini. Avec son premier roman à succès "Sang pour Sang", suivi de "J'entends le bruit des ailes qui tombent", Gipsy Paladini a su se démarquer par son style violent et sans détour très bien maîtrisé et toujours ponctué d'un peu d'humour.

La biographie de Gipsy a fini d'attiser ma curiosité et des milliers de questions ont commencé à tourbillonner dans ma tête : que représente l'écriture pour Gipsy ? Ses voyages ont-ils inspiré la noirceur de ses romans ? Je n'ai pas attendu une minute de plus pour lui proposer une interview au sujet de l'inspiration. Ce fut un moment formidable, avec des souvenirs et des rires, une discussion qui restera dans les annales.

Je vous souhaite une agréable rencontre avec Gipsy Paladini 🙂


Dans une précédente interview, vous dites écrire depuis votre plus jeune âge. Vous pouvez m'en dire plus ?

Je sais qu’il y a des gens qui ont toute une histoire à ce sujet… qui ont commencé à écrire à un certain âge après avoir eu un déclic… moi non. Comme j’ai grandi dans une cité, que cela ne me plaisait pas trop, ça devait être une manière de m’évader. En y repensant, j’étais quelqu’un d’assez solitaire et je ne me sentais pas à ma place où j’étais.

Je n’avais pas trop d’amis, les seules personnes avec lesquelles je me liais d’amitié étaient des marginaux, d’ailleurs mon meilleur ami ado était un ancien toxicomane, sévèrement handicapé après avoir été poussé dans une piscine vide alors qu’il était gamin… on lisait du Antonin Artaud en écoutant du vieux blues. Il mythonait grave, ce que je n’ai compris qu’au bout de quelques années… j’ai un côté un peu naïf et vu le boulot que c’est d’imaginer des histoires, je ne peux m’empêcher d’être admirative envers ceux qui s’inventent un monde sans se forcer…

Savez-vous pourquoi l’écriture a pris autant d’importance si tôt ?

Durant mes jeunes années, je me souviens que depuis mes 13 ans, je n’avais qu’une envie ; fuir mon quartier et m’évader aux États-Unis. À l’époque, on avait 5 chaînes télé, pas d’Internet, pas même un magnétoscope à la maison et j’habitais en Province, on était isolé en quelque sorte du reste du monde, et les choses, faute de les voir, on ne pouvait que les imaginer.

D’un autre côté, certaines de nos ambitions avortaient du fait du manque d’information, je voulais être journaliste, actrice, mais n’avais aucune idée de comment donner forme à tout cela, et ces rêves étouffés me frustraient…

J’imagine que j'extériorisais cette frustration par l’écriture. Au début, mes écrits étaient donc beaucoup plus personnels, intimes… c’est peut-être pour cela que je ne les montrais pas. Au fil du temps, quand ma situation sociale s’est apaisée, je me suis instinctivement tournée vers les autres.

Vous rêviez de partir et vous avez finalement parcouru le monde, particulièrement ses coins sombres. Est-ce que cela vous a inspiré vos histoires, vos personnages de "Sang pour Sang" ou "J’entends le bruit des ailes qui tombent" ?

Je pense que chaque roman représente une petite partie de nous. Quand j’ai écrit « Sang pour Sang », je ne lisais pas de roman policier ou de polar mais j’aimais beaucoup les films noirs des années 40-50. Puis j’ai lu les livres d’Harlan Coben qui m’ont inspiré ce système des « pages turner » ce qui m’a beaucoup plu, j’ai donc construit Sang pour Sang sur cette trame, en m’intéressant davantage aux rebondissements à la fin des chapitres qu’au contexte lui-même…

À l’époque je pensais à tort qu’un polar se basait sur l’action et n’exploitait pas forcément le développement psychologique des personnages. Puis j’ai mûri et dans « J’entends le bruit des ailes qui tombent », je me suis concentrée sur la matière du texte, du contexte, et j’ai beaucoup plus développé les personnages.

Dans "Sang pour Sang" et "J’entends le bruit des ailes qui tombent", vous avez ce personnage commun, Al. Que représente-il pour vous ?

En fait Al s’est un peu construit par lui-même. Une sorte de self made man fictionnel (rires). Mon mari avait été flic au Brésil et il me racontait la sensation de toute puissance qu’il ressentait parfois de par sa position. C’est sur cette base là que j’ai fait naître le personnage d’Al. Celui-ci est certain d’avoir passé un point de non-retour en étant flic et en prenant conscience de ce statut. Au fil des pages, ses caractéristiques, son psychisme, notamment par ses actions, se sont affinés.

C’est vrai que parfois les personnages nous emmènent dans une direction vers laquelle on ne pensait pas aller… Après, je ne peux pas dire qu’Al est une partie de moi car je suis féministe, je le deviens même de plus en plus avec ces menaces constantes qui pèsent sur le statut de la femme, et lui, c’est plutôt un gros salaud… Mais j’aime bien Al, c’est le genre de personnages qu’on aime, déteste, pardonne, comprend, abhorre, etc. et c’est peut-être du fait que justement je ne m’identifie pas à lui que c’est facile de le malmener, de le faire basculer d’un côté ou de l’autre de la moralité. S’il était trop proche de moi, inconsciemment je lui imposerais des limites. Or Al n’a pas de limite.

Quand vous écrivez, vous prenez donc beaucoup de recul ?

Quand je dépeins des scènes de crime qui sont assez difficiles, je ne me rends pas compte de leur violence. C’est le retour des lecteurs, par exemple des mamans qui me disent avoir été choquées par celles-ci, qui me fait prendre conscience de la violence de certains passages.

Donc oui, je dois écrire avec un certain recul. Mais pour les personnages, il m’arrive de ressentir leurs émotions, de pleurer pendant que j’écris. Et quand je me relis plus tard, une fois que le texte est publié, il y a des choses qui me rendent tristes, je me dis que j’aurais dû leur laisser une chance…

Comment écrivez-vous ? Plutôt de façon désordonnée ou organisée ?

Généralement je pose comme base trois parties : la présentation, le dénouement et la résolution. Après au cours de l’écriture, le chemin peut changer, mais je n’ai jamais modifié toute l’histoire. Avoir un squelette est important lorsque l’on écrit des polars. J’ai besoin de savoir où je vais, ce qu’il va se passer dans l’enquête… J’ai ainsi souvent plus la fin de l’histoire en tête que le début.

Pour les personnages, c’est différent, je sais à peu près ce que je vais écrire mais les personnages se développent ensuite d’eux-mêmes, comme Al. Il faut leur laisser un peu d’espace, de liberté sinon ça devient trop formaté et le lecteur le ressent.

Vous avez l’air d’écrire énormément, est-ce que cela vous arrive de ne pas être inspirée ?

Je fais la différence entre être inspirée et être concentrée. Ça m’arrive de ne pas arriver à écrire car je n’ai pas envie, que je suis fatiguée, que j’ai d’autre chose en tête et du coup je ne parviens pas à me concentrer sur l’écriture mais je suis toujours inspirée, j’ai toujours des idées ; j’essaie donc de m’accrocher à cela.

Le fait d’avoir un squelette et de savoir en avance ce que je veux mettre dans un chapitre m’aide certainement à ne pas être bloquée sur une page blanche. Comme je connais déjà le contenu de certains chapitres, il m’arrive de les écrire dans le désordre. Écrire le chapitre 15, puis le 2, repartir sur le 20. J’aborde chaque chapitre à la manière d’un sketch, qui pourrait être lu séparément.

J’essaie donc de ne pas avoir de chapitre inutile ou du moins fragile. Je ne dis pas que j’y parviens, que tous mes chapitres font « tilt », mais c’est en tout cas mon ambition. Bien sûr cela peut se retourner contre moi, car parfois au cours de l’écriture, d’autres idées me viennent en tête et ce n’est pas évident à les incorporer à un chapitre déjà écrit.

Qu’est-ce que vous ressentez lorsque vous êtes inspirée, au moment où les idées affluent ?

Je me ferme carrément au monde. C’est un peu difficile à vivre quand on est en famille (rire) car tout d’un coup, j’arrête tout, I shut down, et l’engrenage dans ma tête se met en marche, mâchouille l’idée jusqu’à ce qu’elle prenne une forme acceptable et qu’elle se développe dans un certain contexte.

Si je n’ai pas accès à un ordinateur, que je ne veux pas réveiller toute la maison en me relevant en pleine nuit, il m’arrive d’écrire des chapitres entiers dans ma tête, je me les représente visuellement et le matin, je les retranscris mot pour mot sur mon ordinateur.

Il est vrai néanmoins que c’est un peu frustrant en tant qu’auteur l’impression qu’on a parfois de ne pas pouvoir exploiter pleinement notre inspiration parce que nous sommes rattrapés par les choses de la vie quotidienne (travail, famille, obligations sociales, etc.). Mais il faut essayer de faire avec, de ne pas se laisser frustrer par cela car au bout du compte ce sont quand même ces choses qui nous apportent un certain équilibre et font notre bonheur.

Quelle définition donneriez-vous à l’inspiration ?

C’est arriver à exprimer les sentiments que vous ressentez à la vue de quelque chose. Je suis une éponge à idées, quoi que je regarde, ça m’inspire. Alors j’évite de regarder des choses bêtes ! Passer la nuit à ruminer les 2 min d’un épisode de Reality Show à la con entraperçu entre deux pubs, on peut rêver mieux !

Pensez-vous que l’inspiration est ouverte à tous ? Qu’elle peut se travailler ?

À partir du moment où l’on parle de travailler, c’est contraire à l’inspiration. Après je pense effectivement que plus on écrit, plus on est inspiré, plus on a des idées. Il faut être quelqu’un d’ouvert, d’épanoui spirituellement, si on est trop renfermé, en colère ou frustré, cela nuit à l’inspiration.

Par exemple, je ne regarde pas les informations, c’est énervant et bouleversant ce défilé d’injustices et d’horreurs. Avec les événements récents, le choc ressenti, je me suis laissée emporter par le tourbillon médiatique qui m’a transformé en un monstre de colère voire de haine. Du coup mon inspiration en pâtissait, je restais plus liée aux faits, aux évènements réels de la vie et à ma propre situation en tant qu’humaine et citoyenne. Du coup tout ce qui était fictionnel se retrouvait en seconde position et j’étais beaucoup moins inspirée.

Pour retrouver le chemin de la fiction, j’ai dû beaucoup travailler – et continue à le faire – sur moi-même pour prendre le recul nécessaire, même si cela me fait mal car on veut tout être acteur dans notre société et pouvoir affirmer nos convictions. Mais si on choisit d’être artiste, à moins d’écrire des sujets d’actualité, on est obligé de faire un pas en arrière et de se déconnecter.

Quelle différence faites-vous entre l’inspiration et l’imagination ?

L’inspiration, c’est avoir une idée et parvenir à la saisir. L’imagination, c’est l’habilité à la développer.

Un dernier mot ?

Alors, c’est grave, docteur ? (rires)


Encore un très grand merci à Gipsy pour ce formidable moment de partage !

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Pour notre quatrième rendez-vous sur l'inspiration, je souhaiterai discuter avec un auteur dont les livres abordent des thématiques similaires à "Au-delà des tours" (adolescence, mal-être, conflit familial, cité...).

Si vous connaissez des auteurs qui correspondent à ma recherche
et que vous souhaitez que je les interviewe,
je suis preneuse de propositions !

À propos de l'auteur

Depuis 2015, je me dédie à ma première passion : l’écriture. J'aime les aventures humaines, riches en émotion et porteuses d'espoir. Et j'aime surtout partager cet enthousiasme avec mes lecteurs !

En effet, pour moi, pas besoin de lire pour rêver et fuir la réalité : Vivons. Nos rêves sont à portée de main et la lecture est aussi là pour nous montrer comment !

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